Premier constat : Qu’on en soit conscient ou pas, le geste de couper est partout. Dans les gestes mais surtout, comme le montre Claire Kail, dans sa contribution, jusque dans les mots.
Dans les métiers artisanaux, couper fait partie des opérations de base de la fabrication des objets. On enlève de la substance, on évide, on taille, on sculpte : d’un matériau brut on tire une forme en retirant, en séparant les éléments. On rencontrera ici des passionnés de la coupe, des artistes de la séparation : un charpentier qui équarrit à la main les arbres qu’il a lui-même choisis dans la forêt. Un boucher qui s’attaque à la carcasse d’une vache, patiemment, pour en détacher les meilleurs morceaux sans gâcher. Un artisan qui sculpte avec minutie des pierres de valeur inestimable. Une toiletteuse qui tond un petit chien pour faire plaisir à son maître, et peut-être lui permettre d’être encore plus aimé. Un jardiner qui sculpte des buis au gré de ses images mentales et de ses rêves.
On ne va pas se le cacher : couper c’est avant tout un geste violent. On est tous et toutes abreuvées de représentations, sans doute fausses pour la plupart, des premiers humains inventant l’objet tranchant pour chasser, tuer, faire la guerre, apprêter des peaux, percer des os, racler des crânes ou couper des arbres. Homo sapiens sapiens a tracé sa route et fait sa place dans les grandes forêts préhistoriques en défrichant, en décimant la mégafaune et en coupant ; on sait ainsi grâce au carbone 14 que les premiers couteaux datent d’au moins 2,5 millions d’années. Il est même fort probable que nous ayons appris à couper avant même de savoir maîtriser le feu. La découpe chemine avec l’humanité depuis le premier silex taillé jusqu’à notre ère industrielle, elle n’a rien perdu de sa charge violente et hostile.
Aujourd’hui encore, « couper » évoque des images de meurtres, de dissection, de sang qui coule, de tronçonneuses en folie dans des films d’horreur. Alors serait-il possible de concevoir la coupe comme une pratique réparatrice, et pas seulement comme quelque chose qui tire dans le sens contraire de la vie ?
Pour ce numéro, notre petite équipe est allée à la rencontre de toute une diversité de personnes qui nous ont faits changer d’avis. La chirurgienne esthétique, rencontrée par Jenna Castetbon et Romuald Roudier Théron, œuvre avant tout pour effacer les complexes et rendre confiance. Pour le même article, les auteur·ices sont allés à la rencontre d’un taxidermiste qui, en véritable artiste, redonne vie et intentions aux animaux qu’il découpe et vide de leurs entrailles. Dans ce numéro, il y a aussi des gens qui taillent des choses qui repoussent. L’article de Bérangère Bussioz nous apprend que pour cela il faut élaguer en fonction des saisons et des lunes, lorsque la végétation est « hors sève ». On trouve aussi des coupeurs de choses qui ne repousseront pas, comme cette carrière de pierre en Charente qui n’en a plus que pour une trentaine d’années d’exploitation : Qu’engage la découpe quand elle se fait à une telle échelle ? se demande Camille Azaïs dans son reportage.
Couper, bien évidemment, nous fait regarder la matière, mais aussi en passionné·es que nous sommes, les outils qui servent à la travailler. Haveuses, chante-perces, découpe au laser : on trouvera dans ce numéro un florilège de noms et de formes d’outils, des plus anciens aux ultramodernes, artisanaux (Les outils pour découper le cuir) comme industriels (La découpe industrielle). Couper c’est un équilibre à trouver : il faut souvent employer la force, mais avoir aussi de la délicatesse, de la précision, parfois au micron près. Les artisans de la pierre précieuse rencontrés par Tristan Pierard, qui n’ont pas le droit à l’erreur, en savent quelque chose.
Coupons court donc, et venons-en au fait : To Cut nous a ouvert de nouveaux horizons, tout en ambivalence et en délicatesse. Parfois ce fut à rebours de nos intuitions, mais toujours au plus proche des matières, des gestes et des savoir-faire ; autrement dit, 100 % Tools Magazine.