Les dimensions sociales du livre d’artiste (ouvrage collectif édité par Anne Mœglin-Delcroix, avec un ensemble d’études et de témoignages de chercheurs, d’historiens, de bibliothécaires, d’éditeurs et d’artistes, ainsi que la réédition de deux textes historiques de Dick Higgins).
Le livre d’artiste est une forme récente de création où l’artiste utilise le support du livre pour produire une œuvre à part entière. Sous l’apparence d’un livre ordinaire, souvent modeste, il cherche à intervenir dans le champ des idées et des concepts plutôt qu’à exhiber le raffinement de sa forme graphique et éditoriale. Aussi le livre d’artiste change-t-il non seulement l’approche de la pratique artistique, mais aussi la façon de penser l’art. Le choix du médium du livre comme support d’une création présente un intérêt très particulier pour le chercheur : d’une part, il invite à penser à nouveaux frais le rapport de l’art contemporain et de la tradition ; d’autre part, il implique une réflexion critique sur la place que l’art occupe – ou qu’il pourrait occuper – dans l’espace social. Le livre d’artiste permet en effet de reconsidérer le rapport à la tradition dans la mesure où le livre, moyen d’expression traditionnel entre tous, est souvent utilisé par des artistes qui revendiquent par ailleurs leur appartenance à la dynamique de l’avant-garde artistique, identifiable, au contraire, à sa volonté de rompre avec les traditions. Au moment où d’aucuns déplorent la disparition des « mouvements artistiques », le livre d’artiste permet de prendre conscience de la nécessité d’examiner les projets de l’art inhérents aux travaux des artistes, au lieu de se fier au formalisme d’étiquettes a priori; ainsi correspond-il peut-être à une nouvelle époque de l’art où le choix des valeurs s’affirme avec plus de clarté. Le livre d’artiste permet également de réfléchir à la place de l’art dans la société dans la mesure où, en prenant la forme d’un livre ordinaire, accessible par son tirage comme par son prix, il permet à l’art contemporain de retrouver un ancrage dans la vie quotidienne : avec lui, l’art prend place dans nos bibliothèques et est partie prenante de nos lectures. Le livre d’artiste, en proposant une sorte d’économie démocratique de l’art, propose par là même une alternative aux dérives et délires du marché actuel de l’art. Le moment est venu d’examiner quelles perspectives sociales il ouvre à l’art.
Le projet spécifique du colloque « Le livre d’artiste : quels projets pour l’art ? » se proposait précisément d’interroger le (ou les) projet(s) de l’art implicite(s) au choix fait par les artistes, depuis bientôt cinquante ans, de produire tout ou partie de leur œuvre sous formes de livres, revues, inserts et autres imprimés. Il s’est agi bien sûr d’interpréter des livres, mais aussi d’exploiter les témoignages des acteurs du champ (artistes, éditeurs historiques, bibliothécaires, etc.). Il s’est aussi agi d’analyser le « chemin » des livres d’artistes dans la société : modalités spécifiques d’accès à l’art par le livre ainsi que de la réception de l’art par le spectateur devenu lecteur, mécanismes de diffusion, lieux d’archivage et de conservation, etc.). L’objectif a été d’identifier les valeurs qui déterminent les artistes à se tourner vers le livre aux dépens ou à côté de formes plus conventionnelles d’expression artistique (peinture, installation, vidéo, etc.), d’identifier aussi dans ces pratiques une forme de critique sociale.
304 pages