Théâtre de la cruauté, visions joyeuses, grotesques, ou infernales, angoisses et extases du sexe et de la torture, il est peu de dire que les artistes Antoine Bernhart et Alan Tex vont jusqu’au bout de leurs démarches respectives, sans se soucier des interdits et conventions (si ce n’est en tout cas pour les dépasser sans sourciller).
Ces créateurs, ayant tout d’abord évolué dans des sphères alternatives et étant maintenant reconnus par galeristes et grands musées, développent ainsi un travail extrêmement idiosyncratique, riche, et de longue haleine. Au sein du Sterput, les dessins et peintures de l’un font écho aux photos de l’autre, pour une proposition entre cabinet de curiosités, cabaret, et foire déviante, une exploration artistique impitoyable et superbe des désirs et terreurs tapis au sein de nos inconscients, une ode, enfin, à tous les freaks, ces véritables héros de la singularité…
Il y a dans l’horreur une forme de beauté étrange qui fascine… autant que le sexe. Antoine Bernhart peint des scènes de sadisme extrême dans des décors de boîtes à musique : les personnages, comme des poupées, jouent les victimes et les bourreaux en se pliant dans toutes les positions qu’autorise la mécanique des corps… Dans ce petit théâtre du sévice, les victimes ligotées ouvrent la bouche sur de longs cris de terreur tandis que des hommes les pénètrent à l’aide de lames tranchantes, de crocs sanglants, d’hameçons et de pénis comme chauffés au fer rouge… Il y a des femmes qui se font dépecer à vif ou larder à coups de planche à clous. D’autres rôtissent en mimant l’effroi sur des bûchers miniatures, entourées par des bourreaux aux sexes rigides, froids et dégainés… Autour, la forêt obscure s’épaissit de présences menaçantes et des châteaux brûlent, comme si les pulsions sauvagement libérées par le peintre se propageaient sous des formes irrationnelles… La violence presque bestiale qui se dégage de ces tableaux stylisés n’est pas sans rappeler celle de ces romans dits «noirs» qui, vers la fin du 18e siècle, racontent avec une complaisance suspecte le destin tragique de belles et pures jeunes femmes…” (Agnès Giard, Sexe et Torture : l’invention du sublime, 16 avril 2012).
Meurtres, viols, mutilations en tous genres… le catalogue d’actes de barbarie proposé par Antoine Bernhart est-il soluble dans le champ de l’art ? Membre du groupe néo-surréaliste Phases dès 1968, Antoine Bernhart finit par se faire exclure du mouvement quelques années plus tard au prétexte que ses délires pornographiques seraient trop extrêmes.
Antoine Bernhart évolue alors dans des sphères alternatives à l’art officiel et à ses institutions, et intègre un vaste réseau de dessinateurs issus de la contre-culture, plus particulièrement des mouvances punk, en réalisant, par exemple, posters et flyers pour des groupes de psychobilly comme les Cramps ou The Meteor. Il est important de noter que le punk français a laissé une marque durable sur la culture occidentale dans son ensemble non pas tant, comme c’est le cas aux États-Unis, en Angleterre ou en Allemagne, sur un plan musical et stylistique, que sur un plan graphique. Ainsi, le collectif Bazooka, dont les stratégies d’infiltration post-situationnistes leur permettent de jouer au cheval de Troie tant au travers des pages de quotidiens généralistes comme Libération, que de revues mensuelles spécialisées comme Actuel. Et encore, les publications à la diffusion volontairement limitée, comme Elles sont de sortie, animées par Pascal Doury et Bruno Richard, dont les héritiers directs se réunissent aujourd’hui à Marseille autour du cercle réuni par Pakito Bolino sous le nom du Dernier cri, et qui encadrent depuis plus de dix ans la diffusion tant imprimée qu’expositionnelle de l’œuvre d’Antoine Bernhart. Autre territoire de réception, très loin de chez nous, qui accueille avec enthousiasme les dessins d’Antoine Bernhart, celui de l’Eroguro, mouvance underground japonaise qui se traduit grossièrement par “l’exaltation du sexe grotesque et cruel”. Ce mouvement, tant littéraire, que théâtral (avec ses spectacles grand-guignolesques où de jeunes femmes dénudées font mine de s’éventrer devant un parterre haletant), et graphique, sort de sa clandestinité avec, par exemple, les traductions en français des sublimes mangas de Suehiro Maruo.
Livre A5 – 16 pages – Peintures et dessins
Impression numérique
Papier MultiDesign 200g
100 exemplaires