Pourquoi enregistrer avec un appareil doté d’une caméra une manifestation contre un régime autoritaire, et pourquoi le faire parfois au péril de sa vie ? Que deviennent les images et les sons de ces luttes une fois qu’ils circulent sur des plateformes en ligne, quand ils ne sont pas supprimés par les gouvernants qui y voient un danger contre l’arbitraire de leur pouvoir ? Que peut le cinéma face à ce matériau visuel et sonore ne lui appartenant pas, qui à la fois lui résiste et l’inspire, s’il souhaite constituer une archive filmée des révoltes de notre présent ? Les vidéos réalisées par les protagonistes des soulèvements arabes de l’année 2011 forment le point de départ et composent la matière première de ce livre. Elles renvoient à un ensemble mouvant d’images brutes, à l’existence souvent éphémère, impersonnelles aussi parce que branchées sur des mouvements de libération qui dépassent l’identité de celles et ceux qui les capturent. Elles portent témoignage d’une histoire contemporaine tourmentée, mais elles engagent aussi bien, de manière dynamique, un avenir de ces soulèvements, quelles que soient les actions contre-révolutionnaires des Etats ou les stratégies de propagande audiovisuelle qui viennent recouvrir leur potentiel de contestation. Il ne s’agit pas seulement d’en appeler à une nouvelle résistance qui trouverait dans les images animées un vecteur privilégié pour représenter un peuple en colère. Il s’agit également de considérer comment ces images persévèrent dans le temps et contribuent, avec le cinéma qui les accueille ou s’en empare après-coup, à une insistance des luttes dont l’une des qualités est de survenir là où on ne les attend plus.
Dork Zabunyan est professeur en cinéma à l’université Paris 8. Il collabore régulièrement à différentes revues (Les Cahiers du Cinéma, Trafic, artpress ou Critique). Il a notamment publié Les Cinémas de Gilles Deleuze (Bayard, 2011), Foucault va au cinéma (Bayard, 2011, avec Patrice Maniglier).
250 pages