En parallèle de la présentation de l’installation éponyme à Venise, le livre sonde l’histoire de la Terre afin de recharger la théorie architecturale. Le titre du livre rapproche volontairement deux termes souvent pensés comme opposés – la Terre et l’architecture – pour essayer de les penser ensemble. Construit comme une épopée, il explore les relations complexes et extraordinaires de l’architecture et de la Terre grâce au concept d’infrastructure compris comme une médiation entre les projets humains et la Terre.
« La Terre tremble, craque, s’effondre, éructe, tempête, tourbillonne, son épiderme transpire ou se dessèche, s’échauffe ou refroidit, grouille ou se dépeuple. Face aux humeurs incessantes de leur environnement, les êtres vivants n’ont d’autre choix que d’aménager leurs mondes. Tous développent des techniques pour pallier leur inadéquation et réussir à habiter le ciel, les terres et les mers. Inlassablement, ils ingèrent, altèrent, transmutent, déplacent ou organisent les particules élémentaires de l’univers. Ce faisant, la foule des vivants s’entremêle et construit la Terre. »
Le point de départ de cette réflexion a été de mettre la définition de l’architecture en conformité avec ce qui définit aujourd’hui la Terre. Depuis plusieurs décennies déjà anthropologues, scientifiques, photographes et artistes arpentent le monde dont nous héritons pour comprendre l’enchevêtrement des humains avec la Terre. Leurs travaux participent à construire une position nouvelle des sociétés humaines comme des puissances agissantes au sein de la nature et non plus extérieures à un environnement qu’elles pourraient contrôler et exploiter à volonté. Prendre acte de cette interdépendance oblige à repenser la définition de l’architecture et de la ville non plus comme la « chose humaine par excellence » comme a pu l’affirmer Aldo Rossi empruntant les mots de Claude Levi-Strauss, mais plutôt comme un phénomène terrestre.
L’objectif de La Terre est une architecture – qui parcourt les siècles pour relire les transformations successives du monde mises en œuvre par les sociétés humaines – n’est pas de juger cet héritage. Inspiré par les travaux de penseurs contemporains comme Philippe Descola, Donna Haraway, Tim Ingold, Bruno Latour ou Anna Tsing, l’ouvrage cherche plutôt à montrer, comment les groupes humains n’ont cessé d’interpréter le monde pour pouvoir le transformer, s’enchevêtrant par là même toujours plus avec les autres puissances terrestres. Et comment, ce faisant, ils ont pris une part toujours plus importante dans les échanges de matières et d’énergies qui se forment continuellement à la charnière des cieux, des eaux et des sols.
Pouvoir continuer à faire de l’architecture aujourd’hui, dans le contexte des crises multiples qui assaillent la Terre et mettent en cause notre capacité à y survivre, nécessite d’accepter que le programme de l’architecture ne se limite pas à la seule satisfaction des besoins humains. Que ce soit pour abriter un individu ou nourrir une société, les projets de transformation de la Terre doivent prendre en compte les mouvements de la foule des vivants, mais aussi ceux des matières terrestres, les craquements du sol et les écoulements des eaux, les remous du ciel, tout en gardant conscience de l’imprévisibilité du monde.
« Chaque édifice est une montagne, un éperon, une dépression, un pli, une fosse. Chaque ville est un massif, un bassin ou une vallée. Chaque construction est une part du monde. L’architecture possède une vaillance interne d’ordre tellurique, une nécessité géologique. Elle émerge du sol. »
208 pp.