Le rapport que nous entretenons aujourd’hui avec la fabrication, la façon dont nous nous répartissons à son sujet, la sorte de conduite où se génèrent les plus grands profits, la séparation enfin qui est parvenue à s’établir entre l’art et le travail montrent — c’est la thèse de ce livre — que la métaphysique n’a pas cessé de nous orienter. Il est significatif que nous soyons en passe d’accepter l’idée d’être des employés plutôt que des travailleurs, que nous demandions à augmenter le nombre des emplois disponibles quand l’absence du travail, plus réellement, nous choque. Que nous en soyons là n’est pas le plus mince indice du succès de cette métaphysique qu’une forme d’industrie et d’ingénierie a mise en oeuvre avant même l’âge industriel dans toutes sortes de pratiques dissimulant leur propre puissance. Cette forme d’industrie a requis et institué un dèmos désoccupé, hors d’oeuvre, croyant, un dèmos hors d’état de participer à la sécréion du monde, un dèmos sous l’empire de cette crypte de la technique qui forme les relations humaines aussi bien que l’espace. Constituer ce dèmos et instituer son nom comme celui du seul peuple possible, telle est l’industrie majeure, la spéculation sublime. «Dé-crypter» la technique, la « dé-couvrir », la faire paraître jusqu’au plus bel éclat, telle est la réponse. On voit ainsi que le bonheur se lie aux phénomènes esthétiques.
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