Une recherche sur la transcription verbale du son et un inventaire des premières productions sonores d’Alice, la fille de Camille Llobet (livre d’artiste).
« Les babillages de l’enfant sont des sortes de phrases sans mot, des “haïkus sonores” où les syllabes sont particulièrement indistinctes et complexes, à la frange de l’inaudible. Notre cerveau – cherchant toujours à simplifier le monde pour le rendre compréhensible – a tendance à interpréter et déformer les sons de l’enfant : un “bgligliab” va être transformé en “Bla” ou “Glia”. Cela m’a amené à faire des séances d’écoute en “boucles scrutées”, un déchiffrage syllabe par syllabe pour tenter de saisir par l’écriture tous les détails sonores de ces sons primitifs du langage. Les sons secondaires ou parasites sont notés en exposant grisé et les syllabes sont éclatées et placées sur la page en suivant intuitivement le rythme et l’intonation de la voix qui ne suit pas encore de construction grammaticale. »
Camille Llobet
« Camille Llobet a enregistré sa fille entre dix et vingt mois, à ce moment où l’enfant découvre sa voix et fait l’expérience de sa capacité à en jouer, à former des sons. Il ne comprend pas encore les mots qu’il entend mais ses babillages imitent et éprouvent les contours prosodiques de la langue parlée, autrement dit ses inflexions, tonalité, accent, modulation et rythme. Le sens loge ici dans le son. Ce sont les prémices de la parole, la formation de sa possibilité. »
Christian Bernard
Publié à l’occasion de l’exposition « À voix haute » à La Graineterie, Centre d’art de la Ville de Houilles.
Diplômée de l’ESAAA en 2015, Camille Llobet (née en 1982 à Bonneville, France, vit et travaille entre Annecy et Genève) ne cesse d’explorer ce qui se communique en dehors du verbe, les perceptions de la parole et les mouvements des corps. « Je donne à voir des corps tellement concentrés sur l’exercice qu’ils sont en train de réaliser qu’ils laissent échapper toute une palette de micro-mouvements (…) Je suis particulièrement attentive à la retranscription par le corps d’un état intérieur. L’une des personnes avec qui je travaille est aveugle de naissance. Lorsqu’elle éprouve un sentiment de plaisir, elle écarquille fortement les yeux, ouvre grande la bouche pour un large sourire et son corps est parcouru par des frissons. Comme si les images du cerveau suintaient dans tout son être. Cela échappe à tout contrôle et tout code social… ».
80 p.