325mm reprend à son propre compte et à nouveaux frais la possibilité de mêler images et textes pour proposer un certain romanesque plastique.
Courte nouvelle, poème narratif, fragments, “film-papier”, scénographie visuelle, les récits avancent en delta, sur plusieurs fleuves où se répondent, de rives en rives, images et mots.”

Comment est né ce besoin de série, ce besoin d’édition par rapport à ton travail autour de l’image ? Ça fait longtemps que ça te trottait dans la tête ?

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé les papiers, livres, publications. Et souvent, j’ai eu le désir de cette forme pour poursuivre mon travail. C’est d’abord le goût profond du livre. Comme le dit Ohran Pamuk au début de son roman «la vie nouvelle » : « Un jour, j’ai lu un livre, et toute ma vie en a été changée ». Il y a un peu de cette espérance-là.

Avec Gnose&Gnose&Gnose publié en 2016 par art&fiction, j’ai ainsi tenté de créer un livre un peu mystèrieux avec des éléments visuels, graphiques, aphoristiques, courts récits etc…

D’autre part, depuis longtemps j’ai souvent fabriqué des livres pour mes expositions. En les lisant les visiteurs y trouvaient une possibilité d’élucidation.

Cette collection te permets d’expérimenter pas mal de chose tout en te contraignant à un format. Ce format d’ailleurs d’où la série tire son nom. Quelle est le fonctionnement pratique de cette série ? (financement, format, impression, parution, délai…)

Ces derniers mois, en dehors des expos, j’ai élaboré, quelques éditions disparates. Des livrets qui se voulaient autonome. Je les ai glissé dans ma valise car invité pour un colloque Poésie & Photographie à l’université de Lausanne je voulais les montrer et notamment à Stéphane Fretz d’art&fiction. Il m’a incité à les unifier dans un geste éditorial puisque ces différents livrets se répondaient dans leurs grands principes. Stéphane m’a aussi (un peu) décomplexé sur les aspects financiers. Concrètement, il m’a suggéré de faire appel à des souscriptions.

J’ai adopté le format d’une de ces premières éditions, j’ai trouvé l’idée du papillon de couleurs, j’ai travaillé un peu titrage et graphisme. Ce que je voulais c’est que l’heureux possesseur de 325mm ne se contente pas de feuilleter les numéros avec l’oeil blasé d’une consommateur repu, mais les lise ! Donc l’ensemble est assez sobre, il n’y a rien de très spectaculaire, il faut y entrer.

Puis j’ai fait un micro-site dédié, un pdf de présentation et quand la Bibliothèque d’art et d’archéologie de Genève a accepté une souscription (c’est la seule institution, en France, personne ne m’a répondu), l’affaire était lancée.

J’envisage donc 4 numéros par an. La 2e saison est déjà prête, je verrais si cela se poursuit.

L’idée n’est pas de gagner de l’argent et de filer aux Bahamas mais d’en perdre le moins possible et de faire circuler au maximum ces propositions.

Ces quatre titres annoncent la pluralité des angles abordables et nous permet par ailleurs de tracer des lignes conductrices entre chaque.
Je souhaiterai premièrement évoquer cette volonté d’exploration du monde par l’image, une image de la dérive, du voyage, de l’aventure. Il y transparaît un désir d’image comme une conquête.

Sans être très érudit, j’ai un certain goût, presqu’enfantin, pour ces photographes explorateurs des débuts de la photo et dont le travail est à la fois esthétique et topographique. C’est l’idée d’un monde appréhendé par la collection photographique. Ce qui n’est pas sans poser des questions idéologiques et dont notre époque contemporaine pourrait renverser la magie. A un moment, il m’a paru que je pourrais accepter de n’être plus qu’un voyageur en chambre puisqu’au fond les voyages importants sont aussi intérieurs. Je pouvais donc tenter de conquérir non plus un supposé réel extérieur mais une image qui soit à la fois prélèvement du monde et projection intime.
Awakening at the inn of the birds peut être ici représentatif : un récit d’exploration un peu trouble qui ouvre finalement la possibilité des souvenirs et de la mémoire.

Un autre point qui semble essentiel dans ta démarche est la narrativité que tu installes entre le texte et l’image. Ton écriture, qui se fait récit ou poésie, invite à une relecture de l’image et vise versa. Quelle autonomie de l’image par rapport au texte et à cette fictionnalisation ? Certains photographes ou artistes t’ont-ils influencés dans cette démarche ? Certains livres ?

Toute mon enfance s’est passée dans la polarité littérature/cinéma. Enfant, je lisais énormément et j’allais au cinéma soit avec mon frère voir des films qui me terrifiait soit découvrir des films dont le romanesque me bouleversait pendant des jours. L’image se poursuit donc en récit imaginaire et le récit engendre ses images.

Quelquefois, il m’arrive de feuilleter mes classeurs de négatifs ou les fichiers de mes disques durs et d’être dans un affût un peu vague, un peu rêveur que quelque chose réponde. Des images, quelquefois sonnent la cloche et semblent murmurer une narration. Si quelque chose se met en place, j’essaie de voir comment faire coïncider texte et image. Il est clair que je ne suis pas un « bon » photographe. Mes images sont rarement éloquentes ou puissantes. Il est clair aussi que je ne suis ni poète ni écrivain. J’essaie de faire une force de ces deux faiblesses et une richesse de ces deux pauvretés. Il ne faut pas que l’image écrase le texte ni celui-ci celle-là.


Enfin, oui, plein de gens m’ont influencé et plus récemment j’ai découvert la profusion des éditions d’artistes contemporains à travers les salons comme Offprint ou MAD. Il y a des choses vraiment emballantes qui font regretter de n’être riche.                            

De l’enfance, à l’amour puis à sa perte, on trace une autre ligne, celle d’une image pansement, une image souvenir, fantomatique. Peux-tu nous parler de cette approche ?

Juste après le Fresnoy, j’ai réalisé un film produit par le Grec. J’y montrais la photo déchirée de mes parents, j’y expliquais avoir dû, enfant, faire ce geste iconoclaste et le film fictionnait un dialogue impossible entre mes vrais parents qui se répondaient dans un champ-contre champ différé. Le raccord, la collure, me donnait alors l’illusion de les voir se parler, ce que ma mémoire refuse. L’image est ici en effet réparation.

Depuis quelques années, une partie de mon travail se concentre sur un Club Photo constitué par des exilés entre 1970 et 2003. Je me suis donc penché sur l’image non plus uniquement comme représentation mais comme force agissante. Il y a eu du reste des analyses récentes qui creusent ces questions-là de la puissance des images, de leur performativité etc… Bertrand Schefer a publié « l’image, évènement intérieur » par exemple…

C’est un sujet que je trouve passionnant et riche de mille embranchements.

Les prochaines publications vont-elles approfondir ces champs ou en ouvrir d’autres ? Quel est ton objectif avec cette série ?

Toute série doit poser quelques principes pour asseoir sa cohérence. Ici, c’est une certaine articulation texte/images. Je vais continuer dans ce sens-là.

L’envie est quand même assez simple : raconter des histoires. Et j’essaie de les moduler avec un versant « récitatif » (une ligne narrative assez claire) et un versant «aria » (une veine poético-lyrico-épique…). Quelquefois le texte prend en charge le récit et les images le décalent ou le fait résonner et quelquefois c’est l’inverse.

Une apparition est une nouvelle assez structurée, romanesque dans son parcours et les quelques images en sont une émanation, c’est l’évocation d’une certaine matière travaillée par le texte . A l’inverse Et in arcadia propose un texte plus elliptique avec des images qui documentent un instant réellement saisi : cette silhouette prostrée au bord de l’eau que j’ai photographié en quelques secondes, la voiture garée en warning sur le bas côté d’une petite route de Bourgogne.

Après tout ne doit pas rentrer en force dans la série. Et je ne veux pas m’en rendre prisonnier.

Site :

http://325mm.aymericvergnon.net

http://www.aymericvergnon.net/